Migrer pour survivre : les personnes LGBTI+ face aux violences et à l’exil dans les pays du Sahel

16 May 2025
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Caritas Mali


À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie ( LGBTI+) , la Maison du Migrant de Gao , membre actif du Réseau Afrique-Europe pour la Mobilité Humaine (RAEMH) , souhaite attirer l’attention sur une réalité souvent tue : la vulnérabilité extrême des personnes LGBTI+ dans les contextes migratoires sahéliens.

Dans la région du Sahel, les parcours migratoires des personnes LGBTI+ s’inscrivent dans un contexte marqué par des menaces constantes et multiples. Entre la stigmatisation sociale, les traditions interprétées de manière restrictive et les législations répressives, les personnes appartenant à cette communauté vivent une marginalisation profonde. Dans des pays comme le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad ou encore la Centrafrique, leur existence est souvent perçue comme une transgression inacceptable de l’ordre moral et religieux, alimentant un climat hostile. Les discours de rejet émanant de figures politiques, religieuses et communautaires renforcent une violence systématique, parfois justifiée au nom de la foi ou des coutumes, obligeant nombre de personnes LGBTI+ à vivre dans l’ombre, dans la peur constante d’être dénoncées, arrêtées ou pire encore.

Face à ces persécutions, la migration s’impose pour beaucoup comme le seul espoir de survie. Pourtant, cette fuite ne garantit pas la sécurité. Les routes migratoires exposent les personnes LGBTI+ à d’autres formes de violences : exploitation, abus, agressions sexuelles, isolement et rejet dans les pays de transit ou d’accueil. L’absence d’informations fiables et de dispositifs d’accompagnement accentue leur vulnérabilité. L’asile, censé offrir une protection, devient un labyrinthe d’incertitudes, souvent marqué par l’invisibilisation de leur identité.

À Gao, au sein de la Maison du Migrant, la question LGBTI+ demeure particulièrement sensible. Les échanges à ce sujet avec les personnes accueillies révèlent un rejet majoritaire. Les personnes migrantes, souvent elles-mêmes imprégnées des représentations culturelles et religieuses hostiles à la diversité des identités de genre, tiennent des propos discriminatoires et refusent tout contact avec des personnes perçues comme LGBTI+. Pour éviter les conflits, les équipes de la Maison du Migrant doivent parfois sonder discrètement les groupes accueillis afin d’identifier les risques potentiels de rejet ou de violence. Cette approche, bien que discrète et préventive, témoigne de la difficulté d’instaurer un climat d’acceptation et de protection.

Les formes de violence subies par les personnes LGBTI+ dans la région sont nombreuses, et souvent cumulatives. Elles relèvent autant de la sphère sociale que des institutions et des communautés. Les préjugés profondément enracinés alimentent les violences verbales, physiques et psychologiques. La criminalisation de l’homosexualité dans plusieurs pays du Sahel légitime la répression, empêche tout recours à la justice, et pousse les personnes concernées à l’auto-effacement ou à la fuite. Des témoignages font état de lynchages, de viols correctifs, d’arrestations arbitraires, parfois même de meurtres. Les violences sont perpétrées par des milices, des proches ou les forces de l’ordre, et elles restent largement impunies. Le durcissement des politiques migratoires dans la région, conjugué à un recul de la présence humanitaire, notamment après le départ de la MINUSMA, a fragilisé davantage les possibilités d’accès à la protection et à l’assistance.

Dans les centres d’accueil, la présence de personnes LGBTI+ est souvent niée ou ignorée. Peu de structures disposent de protocoles adaptés ou de personnels formés à l’accompagnement de cette population. Les conditions d’accueil ne permettent pas l’expression libre de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle, conduisant à une forme d’invisibilité imposée. L’absence d’espaces sécurisés renforce l’isolement, et la peur des représailles pousse beaucoup à dissimuler leur identité. Ce climat de méfiance et de silence pèse lourdement sur la santé mentale des personnes concernées.

Le personnel d’accueil, bien souvent peu sensibilisé à ces enjeux, peut involontairement aggraver la situation. Les attitudes allant de l’indifférence à l’hostilité renforcent la marginalisation. Dans ce contexte, les personnes LGBTI+ n’accèdent que rarement aux soins adaptés, au soutien psychologique ou à une assistance juridique. Les associations ou institutions qui pourraient intervenir manquent de moyens, de formations spécifiques ou d’un cadre légal clair. À Gao, malgré les efforts discrets de certaines structures, l’environnement général reste peu favorable à une prise en charge digne et protectrice.

Les conséquences de cette marginalisation sont profondes. La souffrance psychologique, l’isolement, le sentiment d’abandon et l’insécurité permanente minent le quotidien des personnes LGBTI+ en mobilité. Leur exclusion des politiques migratoires et de protection les prive de droits fondamentaux, et leur situation est souvent ignorée par la société civile comme par les institutions nationales ou internationales.

Face à cette réalité, il est impératif de porter un plaidoyer fort en faveur de la reconnaissance et de la protection des personnes LGBTI+ dans le Sahel. Les autorités étatiques et les acteurs humanitaires doivent s’engager à leur garantir la dignité et de trouver des dispositifs de protection inclusifs, adaptés aux besoins spécifiques de cette population. Cela passe par la création de refuges sécurisés, la formation des personnels d’accueil, l’accès aux soins de santé, à l’accompagnement juridique, et la reconnaissance administrative de leur identité.

Protéger les personnes LGBTI+ en situation de mobilité n’est pas une option, c’est une responsabilité collective. Dans un contexte où la migration est un acte de survie, il est urgent de faire entendre leur voix, de défendre leurs droits et d’affirmer, haut et fort, que personne ne devrait être contraint de fuir ou de se cacher à cause; de qui il est ou, qui il aime.

Le Réseau Afrique-Europe pour la Mobilité Humaine (RAEMH) réaffirme, à travers cet article de la Maison du Migrant de Gao, que "la mobilité doit rimer avec dignité, respect et inclusion" . Pour cela, il faut écouter les voix des plus invisibilisé·e·s , agir avec courage et faire des droits humains une réalité pour toutes et tous.


Isaac Ismaël Pangoup, chargé de programme et responsable administratif et financier de la Maison du Migrant, Caritas Mopti.