Par Isamel Isaac Pangoup, responsable adminsitratif et financier de la Maison du Migrant de Gao, Caritas Mopti-Caritas Mali.
INCIDENTS DE SECURITE ET INCENDIE SUR LE MARCHE PRINCIPAL DE GAO, PRES DE LA MAISON DU MIGRANT.
Le 7 février 2024, vers 10 heures, le grand marché de Gao a connu un incendie dévastateur qui a entraîné d’importantes pertes matérielles pour les commerces. Cet événement malheureux a non seulement causé de graves dommages au marché, mais a également laissé de nombreuses personnes sans sources de revenus. L’incendie, déclenché par l’explosion d’un générateur, s’est rapidement intensifié en raison de l’inaction des commerçants présents sur les lieux. Les répercussions de cet incident auront un impact durable sur la communauté de Gao et en particulier sur ceux qui dépendaient du marché pour leur subsistance. L’incendie s’est répandu vite et de lourdes pertes matérielles ont été enregistrées. Des produits frais ont été consumés, des marchandises détruites et la chaîne d’approvisionnement, déjà compliquée, crée des pénuries dans la ville de Gao.
Après cet incendie, plusieurs personnes migrantes soutenues par la Maison du Migrant de Gao ont perdu leurs moyens de subsistance, certaines avaient bénéficié de l’accompagnement de la Maison du Migrant à travers des financements pour la réinsertion sociaux-économique notamment la mise en place d’AGR. Il s’agissait notamment de ressortissants du Burkina Faso, du Bénin, du Nigeria et du Mali.
Quels effets ont ressenti les populations migrantes ? Témoignage de Moussa Talfo, victime de l’incendie nous raconte après les évènements
« J’ai raté mon aventure après plus de 05 ans passés hors de chez moi. Quand DIEU m’aide à me relancer dans la vie, je viens de tout perdre d’un coup. Je suis dévasté et je ne sais pas comment recommencer. Cette activité que la Maison du Migrant m’a aidé à acquérir, voilà que je l’ai perdu. Qui va m’aider cette fois encore ? C’était toute ma vie. Cela m’aidait à prendre en charge ma petite famille. Je ne veux pas perdre ma place au niveau du marché. Si je ne réinvestit pas je vais la perdre, et si je la perds, je serais obligé de retourner encore dans la migration ».
Quels sont les efforts déployés pendant et après l'incendie du marché de Gao?
Grâce aux efforts conjugués des autorités, de la Protection civile, des Forces armées (FAMA) et de la population, les flammes qui se propageaient rapidement ont pu être combattues et le feu éteint. La principale préoccupation était l’impact potentiel des flammes sur la station de Sonef, et la Maison du Migrant de Gao.
Cependant, la reconstruction et le soutien aux commerçants touchés sont lents, malgré la mobilisation de l’Etat à travers le Ministère du commerce et l’industrie pour venir en aide aux victimes. Nombre d’entre elles restent sans emploi et ont du mal à relancer leur entreprise. Des efforts doivent se faire pour aider les victimes qui ont perdu leurs moyens de subsistance. En temps de crise, la solidarité et la coopération sont essentielles pour surmonter les défis et promouvoir la résilience au sein de la communauté. Voilà pourquoi au sein de la Maison du Migrant de Gao des discussions sont en cours pour soutenir les personnes migrantes touchées par cette catastrophe.
L’INSECURITE SUR L'AXE GAO-NIAMEY
L’enlèvement de 09 migrants par des hommes armés non identifiés
La deuxième semaine du mois de Février 2024 plusieurs migrants venant du Niger en direction de Gao ont été enlevés par des hommes armés non identifiés. Ces événements se sont produits dans les localités de Bentia et Fafa, près de la frontière nigérienne, plus précisément près de Labbezzanga à moins de 190 kilomètres d’Ansongo. Il s’agit de 04 ressortissants nigérians et de 05 ressortissants béninois. Aucune information n’a été fournie par les ravisseurs jusqu’à présent. Selon les témoignages de certains passagers, Ils auraient été enlevés en raison de leurs croyances religieuses. Les agents de la Maison du Migrant de Gao recueillent des informations pour apporter un soutien aux personnes enlevées. Des contacts sont pris avec les familles et les proches des victimes. Nous craignons qu’ils ne soient tués, comme c’est arrivé à certaines personnes migrantes qui ont perdu la vie après avoir été kidnappés.
Depuis le départ des forces étrangères et malgré l’occupation des espaces par les Forces Armées Maliennes, le nord du pays enregistre de nombreux incidents souvent très peu relayés par les média, surtout quand cela concerne les personnes en situation de mobilité.
La rupture de l’accord d’Alger, le blocus et combats dans les régions récupérées
Le blocus par les groupes armées non étatiques en cours depuis des mois affecte les régions de Kidal et de Ménaka, qui sont des zones de transit pour les migrants venant du Niger et qui tentent d’éviter les contrôles de sécurité des FDS. Kidal est un point de passage obligatoire pour les migrants qui se dirigent vers l’Algérie. Cette route, contrôlée par des groupes armés djihadistes, présente un risque pour la sécurité des personnes en mobilité. Les groupes armés, confrontés à des défaites dans les batailles avec l’armée et subissant des pertes en vie humaine et matérielles, recrutent des personnes en mobilité pour combler les vides laissés par leurs combattants décédés lors des combats avec les forces armés. Il s’agit de recrutements forcés à travers le lavage de cerveau ou la contrainte.
Pour ce faire, ces groupes armées djihadistes, interceptent les véhicules en provenance et à destination de l’Algérie et volent les personnes à bord. Ainsi, ce fut le cas le 13 février 2024, lorsque des agents de la Maison du Migrant de Gao ont reçu un groupe de 16 personnes migrantes revenant d’Algérie via Kidal et dont le bus a été intercepté, puis brûlé. Les passagers ont été volés et agressés pour certains d’entre eux.
Ce contexte a tendance à accroitre le phénomène de marchandisation des traversées par le désert. Certains passeurs véreux profitent de la situation pour continuer le trafic et l’escroquerie, l’arnaque et le rançonnage des personnes en mobilité.
La population semble en avoir assez du couvre-feu qui dure depuis des mois, et qui affecte également les personnes en mobilité.
En dehors du contexte diplomatique et politique qui affecte les populations, l’insécurité s’aggrave. Les autorités ont décrété un couvre-feu après les attaques du bateau Tombouctou puis d’un des camps des Forces armées maliennes survenues à l’été 2023. Le couvre-feu, en vigueur depuis presque 07 mois, provoque la détresse de la population. Il y a eu une marche de protestation le mercredi 21 février par des personnes qui ne veulent pas passer le Ramadan sous couvre-feu, critiquant la situation en raison des fréquentes coupures de courant, des conditions météorologiques extrêmes avec des températures dépassant souvent les 45 degrés. Jusqu’à présent, les hautes autorités n’ont pris aucune décision concernant cette situation et restent en état d’alerte en raison de la menace persistante des mouvements armés salafistes djihadistes.
Retrait de la CEDEAO et les obstacles à la libre circulation pour les personnes en mobilité
Le retrait du pays de la CEDEAO pourrait mettre en péril la libre circulation des personnes en mobilité dans le pays, comme c’est déjà le cas avec la situation d’insécurité qui a mis les personnes en mobilité dans une position inconfortable. Les autorités de Gao, à travers la direction Régionale de la police des migrations, ont suspendu la signature des documents de voyage que la Maison du Migrant cosignait avec eux, et exigent une vérification des antécédents des personnes en mobilité arrivant dans la ville de Gao. Ils craignent que ces individus ne soient affiliés à des groupes armés. Cette surveillance, une forme de contrôle, laisse souvent les migrants sans pièces d’identité appropriée dans une situation difficile, car ils risquent d’être arrêtés pour entrée illégale et autres délits qui peuvent conduire à l’incarcération en application de la loi 180, 181, 182 du code pénal malien.
Les migrants, en particulier, sont confrontés à la stigmatisation et manquent de soutien de la part des structures locales à Gao, à l’exception de la Maison du Migrant de Gao et des autres organismes travaillant dans le domaine, qui restent proche d’eux et continuent de plaider auprès des autorités pour améliorer la situation malheureuse des personnes en mobilité arrivant à Gao dans un état pitoyable après de violentes expulsions d’Algérie.
Malheureusement, les ambassades ne se soucient pas beaucoup du bien-être de leurs concitoyens et de leurs collaborateurs qui ont toujours besoin de documents de voyage pour faciliter le retour volontaire ou le soutien dans les procédures administratives et judiciaires des différents ressortissants qui passent à Gao. Certaines ambassades, comme celles de la Guinée, de la Gambie et du Sénégal, s’efforcent d’aider leurs citoyens malgré les difficultés. Les hautes autorités n’ont pas réagi à la situation, peut-être en raison de l’insécurité persistante et de la volonté d’éviter d’exposer la population à des attaques comme celles du bateau Tombouctou et du camp de Famas en août 2023.
La Maison du Migrant face à la fragilité des relations diplomatiques.
La Maison du Migrant de Gao, pour faire face à la fragilité des relations diplomatiques, produit des rapports mensuels aux autorités afin d’assurer la transparence et la compréhension du travail d’assistance aux migrants. Ce travail méticuleux vise à renforcer la confiance et la responsabilité envers les autorités, tout en montrant l’importance cruciale de la Maison du Migrant de Gao dans la promotion de la coopération et de la compréhension mutuelle entre les différentes parties prenantes impliquées dans les questions migratoires intervenant à Gao et au Mali.
Un atelier de travail est programmé et se consacrera sur le renforcement des partenariats stratégiques avec les autorités locales et les organisations internationales afin d’accroître l’impact de la Maison du migrant de Gao et de développer des programmes de sensibilisation et de formation pour améliorer la compréhension des questions migratoires au sein de la communauté de Gao en ces temps d’incertitudes sécuritaires. L’implication des acteurs de la société civile dans l’atelier est prévue afin d’assurer une approche holistique et inclusive dans les actions de la Maison du Migrant de Gao.
LE PARTENARIAT AVEC LES ACTEURS DE LA MIGRATION SE POURSUIT!
Le soutien à la Maison du Migrant de Gao en dotation.
Le centre d’accueil a reçu des kits de l’ONG Ciaud-Canada et du HCR, visant à soutenir le travail quotidien de la Maison du migrant de Gao pour le bien-être des personnes en mobilité. Le don comprenait des kits NFI pour le repos des migrants (matelas, nattes), des produits alimentaires tels que du riz, du sucre, des pâtes alimentaires (…). Cela contribue au renforcement du soutien aux personnes en mobilité et l’équilibre des dépenses de la Maison du Migrant de Gao.
Le représentant du HCR ne cesse de faire l’éloge de la maison du Migrant de Gao pour son travail dans les mouvements mixtes et réitère sa pleine disponibilité pour le soutien et l’assistance à la Maison du Migrant de Gao.
L’accompagnement des personnes en mobilité dans le retour volontaire au pays d’origine et dans la réinsertion socio-économique.
L’ONG Enda-Mali a soutenu 24 migrants de diverses nationalités guinéenne, gambienne, ivoirienne référés par la Maison du Migrant de Gao vers leur pays d’origine et poursuit l’accompagnement à la réinsertion socio-économique de ces derniers. Grâce à ce travail de relais, les personnes en mobilité sont accompagnées jusque dans leur pays d’origine, créant ainsi une synergie d’actions qui devrait se poursuivre dans tous les pays pour optimiser l’accompagnement des personnes en mobilité, atténuer les effets des départs et bénéficier aux communautés pour leur développement.
Il est essentiel de souligner l'importance de la collaboration entre les ONG et autres organisations pour faciliter le retour des individus vers leurs pays d'origine et s’assurer une meilleure vie post migration. Cette approche coordonnée permet d'assurer un suivi complet tout au long du processus de retour, garantissant ainsi un impact positif à la fois pour les personnes en mobilité et les communautés locales